Malgré une brève accalmie due aux restrictions liées à la COVID-19, ces dernières années ont été témoins de l'une des plus grandes vagues de résistance non-violente mondiale de l'histoire récente, 2019 étant largement surnommée “l'année de la protestation.” Ces mouvements – du Myanmar à la Colombie en passant par l'Inde – sont largement axés sur la lutte contre l'autoritarisme ou la réparation des injustices sociales. Moins annoncé et discuté est le rôle de l'action non-violente dans les contextes de guerres civiles et des processus de paix. La non-violence stratégique peut également favoriser la paix dans ces contextes, mais le timing et les tactiques sont la clé du succès.

Le Women in Peacebuilding Network appelle à des élections pacifiques, à Monrovia, au Libéria, le 9 octobre 2017. En 2003, des femmes vêtues de blanc de la même manière ont organisé des manifestations à grande échelle pour demander la fin d'une guerre civile de 14 ans. (Jane Hahn/Le New York Times)
Le Women in Peacebuilding Network appelle à des élections pacifiques, à Monrovia, au Libéria, le 9 octobre 2017. (Jane Hahn/Le New York Times)

Un regard sur le Libéria

Début 2003, le Libéria était associé aux enfants soldats, une guerre civile brutale qui avait coûté la vie à plus de 200,000 personnes et un pays avec peu de perspectives de paix. Pourtant, quelques mois plus tard, des femmes vêtues de blanc ont fait pression sur les parties belligérantes du pays pour qu'elles se présentent à la table des négociations et mènent le processus de paix qui s'ensuit jusqu'à sa conclusion.

Refusant de prendre parti dans une société divisée selon des lignes ethniques et religieuses, le Women in Peacebuilding Network (WIPNET) a réuni 5,000 femmes de toutes origines ethniques, religieuses et politiques, unies sous un slogan simple: “NON à la violence et OUI à la paix!" Elles ont organisé des marches, des sit-ins et des manifestations à grande échelle à Monrovia pour faire pression pour des pourparlers de paix initiaux et se sont engagées avec les chefs religieux qui exerçaient une influence sur les parties belligérantes.

Une fois les négociations commencées, WIPNET a intensifié sa campagne, organisant des sit-ins à l'extérieur des bâtiments du gouvernement et envoyé une délégation aux pourparlers de paix au Ghana, qui a commencé à bloquer les portes et les fenêtres pour empêcher les délégations de quitter sans résolution pacifique. Leurs tactiques ont fonctionné et la guerre civile au Libéria a été résolue pacifiquement.

Le Libéria est-il exceptionnel? Les civils non armés qui vivent une guerre civile dans d'autres pays peuvent-ils utiliser des manifestations, des grèves et d'autres tactiques d'action non violente pour faire avancer leur pays vers la paix? Et si oui, comment peuvent-ils le faire le plus efficacement possible?

Au cours de la dernière année, nous avons examiné cette question dans le cadre d'un projet de recherche de l'USIP, explorant un large éventail de types d'actions non violentes menées par un ensemble diversifié d'organisations non violentes de la société civile (OSCs). En explorant les données sur plusieurs processus de paix à travers l'Afrique, notre recherche montre que l'utilisation de l'action non-violente influence positivement la paix, mais que des types de tactiques distinctes impactent différemment les étapes des processus de paix. Ce qui fonctionne pour amener les parties belligérantes à la table des négociations est très différent de ce qui fonctionne pour aider à mener à un accord négocié.

Les population civiles sont souvent considérés comme des victimes ou des agents passifs dans les guerres civiles étant donné leur vulnérabilité à la violence. Pourtant, bien que la recherche n'ait pas encore totalement contrecarré cette idée fausse, il est bien documenté qu'une vaste gamme de tactiques non violentes ont été utilisées par des citoyens ordinaires pour favoriser la paix, y compris des tactiques de persuasion (manifestations et demonstrations), l'engagement politique (comme le plaidoyer, la supervision et les activités de transition), la non-coopération (comme les grèves et les boycotts) et les tactiques d'intervention (comme les sit-in et la création d'institutions alternatives qui contournent les institutions étatiques souvent injustes).

Ces activités émergent dans des contextes improbables. La campagne “Mass Action for Peace” au Libéria a réussi malgré une violence horrible envers les femmes, une infrastructure déchirée par la guerre et un état d'urgence qui avait supprimé toute forme d'opposition non violente.

Ce qui fonctionne et quand

Dans n'importe quel contexte, l'action non-violente a tendance à avoir plus de succès lorsque ses militants utilisent une variété de tactiques innovantes stratégiquement séquencées pour un effet maximal. Les manifestations sont souvent efficaces au début d'une campagne, lorsque le besoin principal est de sensibiliser. Des tactiques plus conflictuelles peuvent être plus bénéfiques au plus fort de l'activité de campagne, pour augmenter les coûts pour un adversaire. Alors, comment ces idées s'appliquent-elles dans le contexte des guerres civiles, où les mouvements utilisent l'action non-violente pour faire pression en faveur de la paix?

Pour répondre à cette question, nous avons utilisé les données existantes sur les tactiques non violentes enregistrées qui ont été utilisées par des populations civiles pendant 16 guerres civiles en Afrique entre 1990 et 2009. Les conflits inclus étaient des guerres civiles majeures, avec au moins 1,000 morts dans les champs de bataille, ce qui en fait l'un des plus environnements difficiles pour l'action non-violente. En combinant ces événements avec des données sur les morts au combat, les négociations et les accords de paix, nous avons exploré trois composantes d'un processus de paix: l'intensité du conflit (le nombre de morts survenant en un an), les pourparlers de paix initiaux et les accords de paix ultérieurs.

Nous avons trouvé des différences frappantes entre ces étapes. S’agissant de réduire l'intensité des conflits, les tactiques de non-coopération telles que les grèves et les boycotts semblent avoir le plus grand impact, réduisant considérablement les décès liés au conflit. Ceci est conforme aux conclusions de la Colombie, où les OSCs ont “poussé” les groupes armés à respecter les normes de protection, atténuant l'impact des conflits armés sur les civils dans les soi-disant “zones de paix.”

En explorant les descriptions dans les données, nous constatons que des efforts similaires sont observés en Afrique. Par exemple, les grèves à domicile au Kivu en République démocratique du Congo et dans le nord du Mali ont toutes deux été efficaces pour contrer la violence des rebelles.

Les manifestations et l'engagement politique font pression et soutiennent le lancement de pourparlers de paix. Pourtant, ces tactiques ne sont pas liées à la probabilité d'accords de paix ultérieurs. Souvent, les OSCs perdent leur influence, étant donné le défi de maintenir leurs activités sur de longues périodes, et sont malheureusement fréquemment exclues des accords de paix formels.

Les tactiques d'intervention, telles que les sit-ins et les occupations, semblent entraver plutôt que faciliter les négociations initiales. De telles tactiques peuvent exacerber l'instabilité ou sont peut-être trop radicales avant un processus de paix et les OSCs peuvent avoir du mal à gagner la sympathie de leurs partisans potentiels.

Cependant, plus tard dans le processus de paix, cette relation s'inverse. Les tactiques d'intervention, comme les sit-ins organisés et les occupations non violentes du WIPNET au Libéria, semblent rendre un accord de paix beaucoup plus probable une fois que les négociations ont commencé.

Certaines OSCs créent également des institutions alternatives. Ces interventions jouent un rôle essentiel dans l'affaiblissement et la délégitimation d'institutions étatiques injustes. Par exemple, les “comités” qui ont été mis en place pour gouverner les townships en Afrique du Sud, ont à la fois affaibli le système d'apartheid et accru le soutien au mouvement démocratique.

Par l'action non violente, les gens ordinaires ont le pouvoir de changer le cours d'un conflit armé et d'un processus de paix par des moyens pacifiques. Bien sûr, la mise en garde est que pas toutes les formes d'action non violente semblent susceptibles de fonctionner à toutes les étapes d'un processus de paix.

À la lumière de cela, les militants devraient apprendre d'autres cas et apprécier que l'action non violente devrait être stratégique et adaptée aux spécificités de la situation. L'action non-violente n'est efficace que dans le cadre d'une stratégie claire de séquençage des tactiques pour un impact maximal.

Une analyse minutieuse de la situation de conflit, éclairée par les types d'outils inclus dans le programme “Synergizing Nonviolent Action and Peacebuilding” de l'USIP, peut être un bon moyen d'amorcer cette analyse. Pourtant, l'analyse stratégique de la situation doit également être éclairée par une compréhension générale de la manière dont les choix tactiques ont tendance à influer sur les différentes dynamiques d'un conflit.

Notre recherche montre que pour réduire la violence, la non-coopération systématique semble être la plus efficace. Pour faire pression sur les partis pour qu'ils engagent des négociations, les militants ont eu tendance à réussir davantage en concentrant leurs efforts sur la manifestation et l'engagement politique. Et lorsque les négociations ont commencé, des tactiques d'intervention plus conflictuelles semblent être un moyen particulièrement efficace de s'assurer que la négociation aboutit à une conclusion positive.

Luke Abbs est chercheur au Center of Religion, Reconciliation and Peace de l'Université de Winchester. Marina G. Petrova est chargée de recherche à l'Université Bocconi.

Traduction: Jen Evans - Doctorant à l’École d'études internationales Josef Korbel, Université de Denver

 

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